July 12, 2006

 

Marianne Hauser


I am doing a book for a french publisher of pieces by various writers about their fathers

this piece by marianne hauser will be in the book -- it's from
Shoot Out with Father [one of marianne's great books] -- it was translated by a good friend of mine - Nicole Mallet - who translated three of my books into french --

I cannot post the english because it's not in my computer

but I thought why not put the french translation - at least for our french visitors
maybe later we can put the English

Règlement de comptes


On ne sait jamais comment mon vieux va se venger si on n’obéit pas au doigt et à l’œil. Il y a quelques semaines, il me convoque dans son bureau à 17 heures pour contresigner un document en relation avec le testament de ma mère. Tenant absolument à être ponctuelle, je quitte la maison une heure à l’avance. Mais un règlement de comptes et deux fausses arrestations dans le métro, et me voilà avec 12 minutes de retard.

12 petites minutes de rien. J’ai vérifié l’heure à la pendule de l’entrée mal éclairée. Sa secrétaire n’a jamais voulu me laisser aller plus loin que la réception.

Votre père a dû se rendre à une réunion du conseil, a claironné la Miss Renseignements, pas la même que d’habitude, une espèce de matrone à la plantureuse poitrine. Votre père a attendu jusqu’à 17 heures précises, puis il est parti.

Parti, mon cul ! Tandis que la remplaçante régurgitait ce que le patron l’avait entraînée à dire, je pourrais jurer que je l’entendais lui, que je sentais son odeur s’échapper du fond du grand couloir; je crois même que je l’ai aperçu, pendu au téléphone, en grande discussion, pivotant sur son fauteuil dans un énorme nuage de la fumée de cigare qui imprègne tous les recoins de ce dédale de corridors– l’un des édifices les plus vieux, les moins imposants, les plus sinistres de tous ceux qui émergent des canyons obscurs du centre financier de l’Amérique.


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Le temps, c’est de l’argent. Il voulait me donner une leçon comme d’habitude; c’est ce que je me dis, tout en envoyant des ronds de fumée avec ma cigarette sur les angelots grassouillets de la pendule en porcelaine de ma mère. Tic, tac. Nous avons des pendules partout dans la maison. Sauf dans la salle d’armes. Là en-bas, dans le profond silence et la pénombre du bunker climatisé, le temps se mesure en siècles ou en millénaires.

Se mesure, se compte, s’estime, s’évalue; peu importe le terme : le temps, c’est de l’argent. Plus le produit est ancien, plus sa valeur est grande. Pas si simple que ça, mon petit papa. Plus le produit est ancien, moins la datation est fiable. Ce qui revient à dire que tu as payé beaucoup pour moins.

Je ne crois pas que j’aurais l’aplomb de lui dire, pourtant. D’ailleurs, il serait, à juste titre, consterné par ma logique personnelle.

Ne pense pas avec ton cul. Sers-toi de ta tête!

Et le voilà qui se perd dans un fougueux discours sur les progrès stupéfiants de la haute technologie micro-électrique à l’époque du saint ordinateur ou du laser auréolé de gloire pour expliquer comment l’une de ses trouvailles, un casque grec avec un morceau du crane du guerrier resté collé au bronze à travers les millénaires, vient d’être réexaminé, ce qui a permis de reculer sa datation de deux siècles.

Nous sommes les témoins de mémorables sauts quantiques. Les plus récentes techniques de pointe vont sûrement être dépassées en un rien de temps. Les contrefacteurs n’auront plus qu’à fermer boutique et aller faire la manche au coin des rues.

Notez bien comme la foi de mon père dans les bienfaits du progrès scientifique frise la religion. Ne vous inquiétez pas. En cas de pépin technique, si l’une de ses acquisitions s’avérait fausse, il la revendrait à bas prix à un acheteur crédule ou en ferait don à un musée pour avoir un reçu pour ses impôts. Dans un cas comme dans l’autre, il est toujours gagnant.

Je vous en prie, ne traitez pas mon vieux de tricheur. Son éthique n’est guère différente de celle des politiciens. C’est son tempérament qui fait la différence. Chez lui, l’intrigue est comme une drogue. Il joue le jeu comme un toxicomane se défonce. J’ai souvent envié l’état d’ivresse dans laquelle ses manœuvres tortueuses doivent le mettre. Il ne craque donc jamais?

Depuis des années il joue au jeu du chat et de la souris avec la Galerie des Armes et Armures (le GAA). Il s’est fait ami avec le conservateur, ce qui lui vaut d’employer son équipe d’experts en maintenance trois fois par an, à l’œil. Les hommes viennent dans le bunker pour entretenir la collection; ils démontent chacune des armures, les nettoient, lubrifient les mille et une pièces et les remontent. C’est une opération longue et compliquée qui ne coûte pas un sou à mon père. Le service est gratuit.

Ce cher petit conservateur ...dit mon père. Il pense qu’il me tient. Il me graisse la patte tout en surveillant les avis de décès, certain que ma collection finira dans son musée. Ce petit homme de l’Europe de l’Est .... il aura une belle surprise!

Le conservateur est juif, mon père le sait. Mais en ce moment, ce n’est pas cashère de dire du mal des juifs. De toutes façons il nous reste assez d’autres minorités à diffamer. Les fluctuations politiques informent nos mœurs. C’est comme jouer aux chaises musicales.


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Je refais mon testament, dit-il à ma mère au téléphone entre deux réunions du conseil d’administration. La collection doit rester dans la maison qui deviendra un musée semi-public. Bien sûr, je te laisse l’habitation en viager.

Et le GAA? demande timidement ma mère.

Ils ne seront pas oubliés, mon petit cœur. Je leur laisse le moins performant de mes deux fusils Wheellock.



Traduction Nicole MALLET

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